lundi 12 septembre 2016

Table Privée change de carte

Après deux ans de rencontres autant conviviales que gratifiantes autour de ma Table Privée, ce blog est désormais celui de ma petite cuisine personnelle, un recueil de la diversité de mon goût pour la cuisine. 
Au gré de textes plus ou moins longs- plus ou moins courts- accompagnés de recettes et de photos, on y trouve les parfums des cuisines rencontrées dans mes voyages, les saveurs des plats de mes grands-mères entre les rives du Bosphore et du Rhône, celles des souvenirs des gens et de leurs recettes qui font partie de mon enfance, puis ceux des temps qui ont suivi et qui -peu à peu- ont ouvert mon "appétit".  
Je vous emmènerais sur la route des petites choses du goût qui, entre l’histoire et les traditions, nous apprennent tant de choses sur nous, ceux qui nous entourent et que nous aimons. 

Les illustrations photographiques sont de la photographe Léah Déchelette.



Photographies de Léah Déchelette©, non libre de droits




jeudi 18 février 2016

Petites histoires de pain


Les petites histoires

1. Le pain du dimanche

Pendant un certain temps, ma maman se toqua de faire son pain. Elle n’était ni baba cool ni désireuse d’aller élever des chèvres dans le Larzac mais cela devait lui sembler une bonne alternative pour nous élever mon frère et moi au «bon pain d'autrefois». Compte-tenu de son métier d’infirmière qui l'occupait toute la semaine c’était le dimanche le jour du pain.
Franchement je ne me souviens de ce pain qu’au moment de sa création dominicale. Mon frère et moi le dégustions sorti du four. Une large tartine nous était découpée sur laquelle était déposé du beurre qui fondait sur la mie toute chaude et enfin quelques copeaux de chocolat ou, encore meilleur, un voile de chocolat en poudre. Un simple régal pris sur les marches d’escaliers devant notre jardin. 
Depuis lors manger ainsi sur les escaliers extérieurs d’une maison ou y boire un café du premier soleil timide du printemps jusqu’à ses derniers pâles rayons de l’automne vaut bien des terrasses aux Champs Elysées. 






2. Du pain et du beurre


Une année nous partîmes en Grèce, pays qui serait le lieu de bien des souvenirs culinaires sur lesquels je reviendrais.
Mes parents avaient choisi de combiner un séjour et une courte croisière nous permettant de découvrir l’essentiel du patrimoine culturel grec. Lors de la première soirée sur le bateau, ma mère s’inquiéta que le dîner ne soit pas assez copieux pour ses enfants. Il fallait trouver une solution à ce qu'elle imaginait déjà comme un repas de disette... et elle formula cette sentence : «Mangez du pain et du beurre les enfants !», sous-entendu mangez au moins ce qui est présent sur la table en abondance. Mon frère et moi obtempérâmes à l’injonction maternelle. La suite fut épique. Une abondance de plats arriva, servi sur un buffet qui aurait pu nourrir deux fois plus de passagers qu’il n’y en avait sur ce bateau. Pauvres de nous remplis de pain et de beurre ...

«Mangez du pain et du beurre les enfants !» entra dès lors au palmarès de nos expressions familiales pour illustrer avec ironie l’opulence d’un repas !

Catherine D-E.

Les photos 














mardi 2 février 2016

Les beurèks et les kourabiès de Mme Arpoutian

L’histoire



Mes parents avaient des amis arméniens, Iskander et Paulette Arpoutian. Quand nous allions chez eux j’étais amusée par l’allée gravillonnée bordée de petits nains qui nous accueillaient et j’attendais avec bonheur les bonnes choses que Paulette et Iskander Arpoutian allaient nous servir; surtout les beurèks et les kourabiés.

Les beurèks de Mme Arpoutian étaient un modèle du genre: une pâte fine et croustillante, dorée à souhait et qui enserrait une farce au fromage moelleuse et odorante. J’en ai encore l’eau à la bouche. Puis venait le moment des kourabiés ... 
Ah les kourabiès de Mme Arpoutian ! Du sucre, du beurre,  avec du sucre et du beurre ... et aussi un peu de sucre glace pour poudrer ce petit gâteau si friable qu'il fondait quasiment de lui-même dans la bouche sans que l’on fasse le moindre effort. Le goût des kourabiès s’apparente à celui des cornes de gazelle et des montécaos, petits biscuits d’origine espagnole également très sucrés, très beurrés, très sablés... J’ai trouvé des recettes arméniennes de kourabiès avec des ajouts de noix pilés et de petits verres de cognac. Mais dans mon souvenir rien de tout cela dans les kourabiès de Mme Arpoutian; juste du beurre, du sucre, avec du beurre et du sucre (un peu de farine quand même mais ce n’est pas ce goût qui prédomine). 
Les kourabiès et les beurèks de Mme Arpoutian ont ainsi trouvés leur place dans mon casier mémoriel des goûts et des saveurs. Les noms de ces deux recettes et de leur cuisinière sont d’ailleurs depuis complètement indissociables.  

Dans ma famille, ce ne sont pas les beurèks que nous mangeons mais les borekas. Frottés aux influences turques, grecques et arméniennes, les petits chaussons venus de la culture judéo-espagnole se sont garnis de fromages locaux comme la féta ou le kachkaval, ils ont calqué leur nom sur l’appellation environnante (à moins que ce soit l’inverse ?) tout en gardant la spécificité de leur pâte. Effectivement ce n’est pas la pâte filo qui sert à leur réalisation mais une pâte typiquement judéo-espagnole dont vous aurez le secret de fabrication dans la recette qui suit !

Je n’ai jamais vraiment retrouvé le goût des beurèks de Mme Arpoutian, juste un peu dans une rue de Rhodes où j'ai mangé dans une petite échoppe des tiropitas délicieux qui leurs ressemblaient beaucoup. Peut-être me manque-t-il pour retrouver ce goût des beurèks un ingrédient désormais introuvable: le son de la voix douce d’Iskander Arpoutian qui chantait pour nous en fin de repas d’anciens chants venus d'Arménie.

Catherine D.E


Les photos 









Ici ce sont des borekas !


Les recettes 
Pour les recettes des beurèks et des kourabiès voici des liens avec des vidéos reprenant ces classiques de la cuisine arménienne:




Pour les borekas :
Pour la pâte :
-un verre d'huile,
-un verre d'eau,
-500 grammes de farine,
-du sel.
Pour la farce :
- 50 grammes de gruyère râpé,
- 200 grs de féta (ou moitié-moitié fromage de chèvre-emmenthal),
-3 oeufs entiers, (+ un jaune)
-3 pommes de terre
-sel, poivre.

Pour la pâte: faire chauffer l'huile, l'eau et une pincée de sel. Laisser tiédir et verser la farine tout en remuant avec une cuillère en bois, puis en pétrissant à la main jusqu'à obtention d’une pâte à la fois souple et molle.
Pour la farce: cuire les pommes de terre dans un peu d'eau salée. Ecraser le fromage à la fourchette et mélanger-le aux oeufs et aux pommes de terre écrasées. Saler et poivrer. Etaler la pâte au rouleau et à l'aide d'un petit bol (qui sert donc d'emporte pièce) découper en disques.
Mettre de la farce sur chaque disque et former des chaussons bien fermés à l’aide d’une fourchette. Poser ces chaussons sur une plaque légèrement huilée, badigeonner le dessus d’un jaune d’oeuf (un peu allongé d'eau si besoin), ajouter un peu de gruyère râpé, et faire cuire au four préchauffé à 200° vingt à 30 minutes.
Déguster chaud ou tiède «à la française» avec une salade verte, ou «à l’orientale» avec un assortiment de plats de mézzé: tarama, olives galamatas, caviar d’aubergines, poivrons grillés, ect, ect ...!!!

samedi 16 janvier 2016

Les gaufrettes à la glace de la petite fille de Brooklyn

L'histoire



La maison de Solange et Robert était magique car elle avait le grenier le plus formidable qui soit. Ce n’était pas un grenier sombre, au plancher vermoulu et craquant, rempli de toiles d’araignées et de poussière. C’était un grenier vaste et clair à la bonne odeur de bois. On pouvait y dormir et jouer. Moi j’y ai beaucoup lu. Le grenier de la maison de Solange et Robert à Chateauneuf était un lieu extraordinaire pour la petite fille que j’étais. Un lieu où l'imagination et les rêves pouvaient courir à leur aise. Car dans ce grenier il y avait des livres, plein de livres; ceux de Martine, Hélène et Patou, mes cousins. 
Je me souviens plus particulièrement de deux livres, «Toufou», l’histoire d’un petit garçon amoureux du cirque, et «La petite fille de Brooklyn» de Betty Smith dans la fameuse Bibliothèque Verte. La couverture représentait une petite fille à la silhouette malingre et aux fins cheveux longs et noirs devant une esquisse de hauts immeubles dont je ne savais pas alors qu’ils pouvaient aussi s’appeler des «buildings» puisque l’histoire se situait à New-York. 
Ce roman autobiographique que j’ai lu et relu évoquait la vie d’une petite fille très pauvre de Brooklyn, ce quartier new-yorkais ouvert à toutes les immigrations. Les descriptions qui entouraient le récit de la vie quotidienne de Francie me fascinaient autant qu’elles m’intriguaient car je ne me les représentais pas. Ainsi lorsque Francie évoque qu’elle s’installe sur un escalier pour lire tout à son aise, elle décrit un escalier métallique à l’extérieur de son immeuble. Des escaliers dehors le long des murs sur lesquels on peut aller en passant par une fenêtre ? Je ne voyais pas comment c’était possible et à quoi ils servait, à part procurer à Francie le lieu pour jouer puisqu'elle expliquait qu’elle n’avait pas de chambre dans le tout petit appartement où elle vivait. 
L’autre élément qui ne manquait pas de m’interpeller était les friandises qu’elle s’offrait quelquefois « ...huit sous de gaufrettes roses et blanches à la menthe ... ». Des gaufrettes de couleur ? Cela me semblait féérique. Mais le plus étrange pour moi était les gaufrettes à la crème glacée que Francie croquait. Je connaissais évidemment les gaufrettes et la glace, mais séparément. Comment les manger ensemble ? Pour moi à cette époque la glace se mangeait uniquement sous la forme d’une boule posée sur un cornet ou quelquefois dans un joli petit pot en carton avec une minuscule cuillère en plastique de couleur. Je me suis donc longtemps demandée comment gaufrette et glace pouvaient ainsi cohabiter dans une gourmandise que Francie semblait vraiment adorer. 

La description des repas de la famille de Francie relevait aussi d’un certain exotisme : «...ils dinèrent chacun d’une grosse tranche de gorget de chez Sauerweim (bas morceau de la langue de boeuf), avec deux morceaux du bon pain de seigle bien odorant acheté à l’épicerie juive et tartiné de beurre, et un gâteau, le tout arrosé d’un bol de café fort, bien chaud, corsé d’une petite cuillère de lait concentré sucré, servi au bord de l’assiette ...». 
Une petite fille avait donc le droit de boire du café, de surcroit en mangeant ? La viande était mangée avec des tartines ? Quelle époque et quel pays ! Et pour fêter la nouvelle année, la maman de Francie «mettait un peu de vieille eau de vie dans de grands verres sur laquelle elle versait un mélange composé d’un oeuf battu, de lait et de sucre. Puis elle râpa un peu de muscade dont elle saupoudrait le tout». Quel monde étrange vraiment ! ... 
Après «La petite fille de Brooklyn» j’ai lu d’autres livres, fait d’autres connaissances littéraires, et j’ai laissé de côté la petite Francie, les escaliers extérieurs, le pont de Brooklyn, le quartier de Manhattan Avenue et le quartier juif qui démarrait à Siegel Street et dans lequel elle achetait le si bon pain de seigle.

Un jour je découvris avec le film «West Side Story» ce qu’étaient les escaliers extérieurs à New-York. Et encore plus tard en allant aux fiançailles de mon frère aux Etats-Unis je découvris enfin les gaufrettes à la crème glacée que l’on mangeait, non pas en les léchant, mais en les croquant comme un petit gâteau. En une bouchée je retrouvais Francie, l'héroïne de mes dix ans, je comprenais sa joie gourmande, je savais enfin ce qu’était l'Amérique. 


Catherine D.E




Les photos